L'Anthropocène ou l'époque du changement du climat par l'homme

Systèmes physiques

  • Au niveau des systèmes physiques et comme pour les systèmes humains, l'histoire de l'Anthropocène est bien souvent celle d'une hausse fulgurante.

  • Ceci est logique : l'activité humaine consiste à convertir des ressources naturelles en biens et services utilisables par l'homme. Cette conversion s'accompagne de la production de déchets qui s'accumulent dans la biosphère. La croissance fulgurante de l'activité humaine s'accompagne donc d'une hausse tout aussi fulgurante de la présence de certains composés dans la biosphère.

  • Cette hausse est notamment impressionnante en ce qui concerne la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

  • La concentration atmosphérique en CO2 a augmenté de 50 % en 200 ans, passant de 280 ppm en 1800 à 417 ppm en 2022 [1].

  • Dans le même temps, la concentration atmosphérique en méthane a doublé, tandis que celle en protoxyde d'azote a augmenté de 25 % [1].

  • Puisque la concentration de gaz à effet de serre augmente, c'est aussi le cas de la température à la surface du globe et du niveau des océans.

  • Depuis 1850, la température moyenne de la surface du globe a augmenté de 1,2 °C [1], constituant une rupture brutale avec le climat des derniers millénaires [2].

  • De son côté, le niveau des océans s'est élevé de plus de 20 cm, avec une vitesse d'élévation qui s'accélère [3].

  • L’unicité du changement climatique en cours tient dans son origine et sa temporalité : il résulte de l’activité humaine et se déroule avec une extraordinaire rapidité. C’est probablement la première fois, dans les milliards d’années d’histoire de la Terre et de la vie, qu’une espèce seule influence à ce point et avec une telle soudaineté le système climatique.

Points clés

L'étude du climat passé est essentielle pour comprendre son fonctionnement. Comme nous ne disposons d'un enregistrement direct des variables climatiques que depuis quelques décennies, les climats antérieurs doivent être reconstruits à partir d'indicateurs indirects. Ces-derniers, appelés proxies, sont des éléments naturels sensibles aux variations climatiques et dont l'analyse a posteriori peut ainsi renseigner sur les conditions climatiques passées. Par exemple, les cernes de croissance des arbres (pour les derniers milliers d'années), les couches de glace (pour les derniers 800 000 ans)  ou les couches sédimentaires marines (pour les derniers millions d'années) sont particulièrement analysés pour reconstruire les températures passées.

Le changement est une constante climatique : illustration avec 500 millions d'années d'histoire du climat de la Terre

Graphique de l'évolution de la température globale au cours des derniers 500 millions d'années
Graphique de l'évolution de la température globale au cours des derniers 500 millions d'années

L'analyse des glaces de l’Antarctique, vieilles de 800 000 ans, permet de reconstruire les évolutions conjointes de la concentration en CO2 et de la température au cours des 800 000 dernières années. Elle révèle ainsi une alternance de périodes froides, appelées périodes glaciaires, et de périodes plus chaudes, dites périodes interglaciaires. La dernière période glaciaire a pris fin il y a environ 12 000 ans, avec une remontée progressive des températures à la suite de l'atteinte du dernier maximum glaciaire il y a 20 000 ans environ. La température relativement stable connue depuis un peu plus de 10 000 ans aurait largement contribué à l’émergence et au développement de la civilisation telle que nous la connaissons aujourd'hui. Le graphique s'arrête vers 1900 et ne montre pas la stupéfiante augmentation récente de la concentration en CO2 et de la température, que nous aborderons ci-dessous. Source du graphique : NASA (https://earthobservatory.nasa.gov/features/CarbonCycle/page4.php).

L'alternance entre périodes glaciaires et interglaciaires est généralement expliquée par la théorie de Milankovitch, qui stipule que des changements cycliques dans les paramètres orbitaux terrestres (excentricité, obliquité et précession) interviennent sous l’action des grosses planètes et influencent la quantité d’énergie solaire reçue par la Terre, pour au final en modifier le climat [4].

Toutefois, les changements dans l’orbite terrestre ne suffisent pas à expliquer seuls l’amplitude des variations de température. Pour cela, un deuxième acteur capital entre alors en jeu : les GES et leur concentration dans l’atmosphère. Si son pouvoir de réchauffement n’est pas le plus important, le CO2 a été pointé comme un acteur majeur des changements passés du climat. Ainsi, au cours des derniers 800 000 ans, la concentration en CO2 atmosphérique a évolué en étroite relation avec la température du globe.

Le CO2 n’a donc généralement pas été le déclencheur, mais un amplificateur des variations climatiques, en intervenant dans des boucles de rétroactions positives. Voici un exemple de rétroaction positive : du fait de changements infimes dans les paramètres orbitaux, la quantité d’énergie solaire reçue par la Terre augmente légèrement, ce qui contribue à élever la température. Comme le CO2 est moins soluble dans l’eau chaude que dans l’eau froide, les océans se mettent à relâcher davantage de CO2. La teneur en CO2 atmosphérique augmente, ce qui accentue l’effet de serre et amplifie le réchauffement de la Terre.

En définitive, l'analyse du passé montre que le changement climatique n'échappe pas à une loi d'airain de l'univers : le changement. Elle met également en évidence une propriété fondamentale du système climatique : sa sensibilité, qui signifie qu'une variation même infime d'un paramètre climatique peut entrainer des variations considérables du climat et notamment de la température globale.

Ces analyses ont montré que la température globale de la Terre a considérablement varié dans le passé. Entre 60 et 40 millions d'années avant notre ère, la température globale était peut-être supérieure de l'ordre d'une dizaine de degrés Celsius ou plus à la température actuelle ! Depuis, la tendance de fond est à un refroidissement progressif de la surface du globe. Cette évolution sur le temps long est émaillée d'oscillations à plus haute fréquence, avec une alternance de baisses et de hausses de la température globale sur des échelles de l'ordre de quelques milliers d'années. Trois facteurs majeurs ont été identifiés pour leur implication dans ces changements passés : la quantité d’énergie solaire reçue, l’activité volcanique et la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre (GES). Attention, l'échelle des abscisses du graphique n'est pas linéaire, ce qui peut être trompeur, notamment vis-à-vis de la relative stabilité climatique des derniers millénaires, ces derniers ne constituant en fait qu'une étincelle dans l'histoire de la Terre. Source du graphique : Ariel Provost (traduction en français des labels de All palaeotemps.svg), CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0a/Pal%C3%A9otemp%C3%A9ratures.svg).

Graphique de l'évolution de la température globale et de la concentration en CO2 depuis 800000 ans
Graphique de l'évolution de la température globale et de la concentration en CO2 depuis 800000 ans
Exemple de boucle de rétroaction positive entre la température et la concentration en CO2
Exemple de boucle de rétroaction positive entre la température et la concentration en CO2

Aujourd'hui, l'homme provoque une variation non pas infime mais bien gigantesque d'un paramètre climatique : la concentration de GES dans l'atmosphère. Ainsi, l'évolution récente de la concentration de GES dans l'atmosphère est l'une des plus spectaculaires manifestations de l'Anthropocène.

Depuis la révolution industrielle, l’homme a relâché des quantités démentielles de GES dans l’air, en particulier du CO2. Au cours des dix dernières années, l’activité humaine a émis dans l’atmosphère entre 35 et 40 milliards de tonnes de CO2 par an, et chaque année bat le record de la précédente.

Ce relargage inconsidéré de GES a logiquement contribué à augmenter drastiquement leur concentration dans l’atmosphère, en témoigne l’hallucinante évolution récente de la teneur atmosphérique en CO2. À l’échelle des temps géologiques, l’augmentation de CO2 atmosphérique pilotée par l’homme apparaît instantanée et d’une amplitude incroyable (graphique du haut) !

En 2022, la teneur atmosphérique en CO2 atteignait ainsi 417 ppm (parties par million — la concentration en gaz dans l’atmosphère s’exprime en parties par million, ce qui revient à des millilitres par mètre cube). Cela représente une augmentation de presque 50 % en 200 ans, c’est-à-dire depuis le début de la révolution industrielle lorsque la concentration en CO2 était autour de 280 ppm.

La teneur en CO2 atmosphérique est connue pour les 800 000 ans passés, soit la période couverte par les données issues des carottes glaciaires. Au cours de cette période, la concentration en CO2 n’a jamais dépassé 300 ppm. Et plusieurs indices laissent à penser que la concentration actuelle en CO2 n’a pas été atteinte lors des trois derniers millions d’années.

De la même façon, la concentration atmosphérique en méthane a plus que doublé depuis le début de l’ère industrielle (graphique du milieu), tandis que la concentration en protoxyde d'azote a augmenté de près de 25 % (graphique du bas).

L'homme change la composition de l'atmosphère : des gaz à effet de serre à un niveau sans précédent depuis des centaines de milliers d'années

Graphique de l'évolution de la concentration en CO2 dans l'atmosphère depuis 800000 ans
Graphique de l'évolution de la concentration en CO2 dans l'atmosphère depuis 800000 ans
Graphique de l'évolution de la concentration en méthane dans l'atmosphère depuis 1750
Graphique de l'évolution de la concentration en méthane dans l'atmosphère depuis 1750
Graphique de l'évolution de la concentration en protoxyde d'azote dans l'atmosphère depuis 1750
Graphique de l'évolution de la concentration en protoxyde d'azote dans l'atmosphère depuis 1750

Source des données : Our World In Data [1].

Cette augmentation stupéfiante de certains GES dans l’atmosphère est déjà allée de pair avec un réchauffement tout aussi brutal. Contrairement aux changements climatiques passés, dans lesquels les GES ont plutôt été des amplificateurs, les changements actuels sont donc déclenchés par les GES.

En regardant l'évolution de la température moyenne du globe depuis 1850 relativement à la température moyenne de la période 1961-1990, on voit que la température a augmenté brutalement au cours des dernières décennies. Elle est aujourd'hui environ 0,8 °C plus élevée que la référence 1961-1990. A contrario, la température au début de l'époque industrielle était environ 0,4 °C plus basse que la référence 1961-1990. Le différentiel entre l'époque pré-industrielle et l'époque actuelle est donc de 1,2 °C environ.

Un réchauffement de la température moyenne globale de 1,2 ° C en moins de deux siècles, c'est un réchauffement d'une soudaineté extraordinaire ! À titre de comparaison, au cours des derniers millions d’années, lorsque la Terre est sortie des périodes glaciaires, la température globale a augmenté de 4 à 7 °C sur des durées de l’ordre de 5 000 ans. Le réchauffement d'environ 1 °C lors du dernier siècle est donc à peu près 10 fois plus rapide que les réchauffements postglaciaires.

Finalement, le changement climatique actuel présente 2 singularités qui le distingue des changements passés : il est déclenché par les GES émis par les hommes et se déroule avec une soudaineté extraordinaire.

L'homme change le climat terrestre : une hausse brutale de la température globale au cours des dernières décennies

Graphique de l'évolution de la température globale depuis 1850
Graphique de l'évolution de la température globale depuis 1850
Graphique en forme de crosse de Hockey de l'évolution de la température globale depuis 2000 ans
Graphique en forme de crosse de Hockey de l'évolution de la température globale depuis 2000 ans

La lecture des informations enregistrées par les cernes de croissance des arbres permet de reconstruire l'évolution de la température moyenne du globe au cours des 2 derniers millénaires. Le graphique ci-dessus montre ainsi 2000 ans d'évolution de la température relativement à la température moyenne de la période 1850-1900. En dépit de variations constantes de la température dans le passé, avec par exemple les bien connus optimum médiéval (du 10e au 14e siècle) et petit-âge glaciaire (du 14e au 19e siècle), qui ont été limités aux régions de l’Atlantique Nord, aucun changement global n’est survenu avec l'amplitude et dans le laps de temps qui caractérisent le réchauffement récent. Durant les 2 000 dernières années (et probablement davantage), il n’a jamais fait aussi chaud qu’aujourd’hui à l’échelle du globe [2]. Ce graphique est communément désigné comme le "graphique en forme de crosse de hockey" en raison de l’élévation brutale de température au cours du dernier siècle, qui constitue une véritable rupture avec le climat des derniers millénaires. Source du graphique : RCraig09, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons.

Source des données : Our World In Data [1].

Qui dit élévation de la température dit moins de glace sur les continents et donc plus d’eau dans l’océan. De plus, lorsque sa température augmente, l’eau "gonfle" (phénomène de dilatation thermique), ce qui contribue également à l’élévation du niveau des océans en cas de réchauffement. Lors du dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, l’océan était à un niveau inférieur de 120 m par rapport au niveau actuel [3]. Les reconstructions indiquent des vitesses rapides d’augmentation du niveau de la mer, jusqu’à 5 cm par an à la fin des périodes glaciaires, et de 1-2 cm par an durant les périodes interglaciaires.

Logiquement, depuis la fin du 19e siècle et le début du réchauffement global, le niveau des océans s’élève continuellement, alors qu’il avait été relativement stable durant les 3 000 ans précédents. Le niveau moyen des océans a augmenté d'environ 25 cm depuis 1880. D'ailleurs, il augmente de plus en plus vite : le rythme d'élévation était d'environ 1 mm/an à la fin du 19e siècle ; il était d'environ 2 mm/an au 20e siècle et aurait atteint 3,6 mm par an entre 2006 et 2015 [3].

Source du graphique : NOAA [3].

L'homme change le niveau des océans : le rythme d'élévation du niveau de la mer s'accélère

Graphique de l'évolution du niveau des océans depuis 1880
Graphique de l'évolution du niveau des océans depuis 1880

Références

[1] H. Ritchie, M. Roser, et P. Rosado, « CO₂ and Greenhouse Gas Emissions », Our World in Data, 2020. https://ourworldindata.org/co2-and-greenhouse-gas-emissions

[2] Skeptial Science, « What does past climate change tell us about global warming? », Skeptical Science, 2020. https://skepticalscience.com/climate-change-little-ice-age-medieval-warm-period-intermediate.htm

[3] NOAA, « Climate Change: Global Sea Level », NOAA, 2022. http://www.climate.gov/news-features/understanding-climate/climate-change-global-sea-level

[4] A. Buis, « Milankovitch (Orbital) Cycles and Their Role in Earth’s Climate – Climate Change: Vital Signs of the Planet », NASA, 2020. https://climate.nasa.gov/news/2948/milankovitch-orbital-cycles-and-their-role-in-earths-climate/