L'Anthropocène ou l'époque de l'extractivisme
Extraction des ressources
L'extraction des ressources naturelles est l'étape primordiale de l'activité humaine et de ce que l'on appelle l'économie, soit le processus de conversion des ressources naturelles en biens et services utilisables par l'homme.
L'économie étant en croissance, il faut extraire toujours plus de ressources naturelles. Nous sommes donc entrés dans l'ère de l'extractivisme, c'est-à-dire l'ère de l'exploitation massive et industrielle de la nature.
L'extraction du pétrole, du charbon et du gaz des sous-sols terrestres est un processus caractéristique de l'Anthropocène, car ces ressources fossiles constituent le socle de la civilisation moderne et le moteur de la croissance.
L'humanité consomme actuellement environ 100 millions de barils de pétrole par jour (un baril de pétrole = 159 litres), soit environ 35 milliards de barils par an [1]. À cela s'ajoute une consommation annuelle de l'ordre de 8 milliards de tonnes de charbon [2] et 4 milliards de mètres cubes de gaz [3].
Comme ce sont des sources presque idéales d'énergie (si on met de côté le "petit" problème des gaz à effet de serre et la finitude des réserves), elles ont multiplié de façon extraordinaire le pouvoir de transformation des humains en permettant la mise en mouvement de machines toujours plus impressionnantes.
Transports modernes, agriculture intensive, urbanisation, informatique généralisée... sont autant de développements récents fondamentalement liés à l'utilisation massive des ressources fossiles.
L'extractivisme ne se limite toutefois pas aux ressources fossiles. Par exemple, l'essor récent de l'électronique et du numérique implique l'extraction croissante de dizaines de métaux différents aux quatre coins du monde [4, 5]. La "transition écologique", qui suppose l'électrification de nombreux processus (transports, industrie...), accélère la tendance et comporte le risque du passage d'une ressource non renouvelable (les fossiles) à une autre (les métaux) [6, 7].
Du côté des végétaux, environ 15 milliards d'arbres seraient prélevés chaque année pour divers usages [8]. Depuis la révolution néolithique, le nombre d'arbres sur Terre aurait été divisé par 2 [8].
De la même façon, on estime que plus de 1000 milliards de poissons sont prélevés chaque année dans leur milieu naturel [9], avec une surpêche qui entraine un déclin massif des populations [10].
C'est en fait l'ensemble des ressources naturelles (êtres vivants en général, roche, sable, minerais, eau...) qui est concerné par l'extractivisme. L'homme est en train de dévorer la surface de la Terre !
Points clés
Pétrole, gaz et charbon sont indissociables de la croissance de l'activité humaine et de l'Anthropocène. Pour extraire ces "trésors" des entrailles de la Terre, tous les moyens sont bons. L'extraction du charbon fait appelle à de gigantesques machines appelées "excavateurs" (photo du haut). Pour le pétrole et le gaz, des forages sont réalisés aussi bien sur terre (en bas à gauche) qu'en mer (en bas à droite).
Les chiffres sont vertigineux : l'humanité consomme actuellement environ 100 millions de barils de pétrole par jour (un baril de pétrole = 159 litres), soit environ 35 milliards de barils par an [1]. Pour le charbon, la consommation annuelle est de l'ordre de 8 milliards de tonnes [2]. Pour le gaz, les estimations de consommation annuelle sont de 4 milliards de mètres cubes [3].
Source des images : Pixabay.
L'exploitation minière peut prendre des proportions démentielles, jusqu'à dévorer des montagnes entières ou la surface du sol sur de vastes étendues.
Mine de Lignite de Garzweiller en Allemagne (en haut), mine de cuivre d'Escondida dans le désert d'Atacama au Chili vue depuis un satellite (à gauche), extraction minière près de Poprad, en Slovaquie (au milieu à droite) et mine d'or "Super Pit" de Kalggoorlie en Australie (en bas à droite).
Source des images : © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0 (via Wikimedia Commons) pour l'image du haut ; NASA pour l'image de gauche (https://earthobservatory.nasa.gov/images/1000/escondida-mine-chile) ; Pixabay pour les deux images de droite.
L'extraction des combustibles fossiles est le moteur de la croissance
L'exploitation minière dévore la surface terrestre
L'essor fulgurant de l'électronique et du numérique repose sur l'extraction massive de ressources. En effet, un appareil électronique contient des dizaines de matériaux et notamment une grande quantité et diversité de métaux. Des dizaines de métaux rentrent ainsi dans la composition d'un ordinateur [4, 5]. Certains représentent une proportion importante du poids de l'ordinateur (aluminium, fer, cuivre, zinc...), tandis que d'autres n'en représentent qu'une partie infime (cobalt, lithium, palladium, tantale...) ; paradoxalement, ce sont ces-derniers qui tendent à avoir l'impact environnemental le plus fort [5].
Depuis le début du 21e siècle, en lien avec la révolution d'un secteur numérique qui est tout sauf dématérialisé, la demande en métaux explose [4]. Par exemple, la production de cuivre en 2015 était 5 fois supérieure à celle de la période 1956-1965, et cette tendance est retrouvée pour une grande variété de métaux [4].
La "transition énergétique" (voir le graphique qui montre qu'il est pour l'instant largement plus pertinent de parler d'accumulation énergétique), qui vise à l'électrification de nombreux processus comme les transports ou l'industrie, suppose d'extraire de grandes quantités de métaux [6]. Ces-derniers sont effectivement nécessaires à la fabrication des infrastructures de captage de l'énergie (éoliennes et panneaux photovoltaïques par exemple) et des différentes machines utilisatrices (ordinateurs, téléphones, voitures électriques...). En fait, les quantités requises sont telles que cette transition comporte le risque de passer d'une ressource non renouvelable (les fossiles) à une autre (les métaux) [6].
Le lithium est un métal essentiel à la "transition énergétique", car il rentre dans la composition des batteries qui permettent de stocker l'électricité. Il serait ainsi "l'or blanc de l'économie verte" [7]. Les véhicules électriques notamment en demandent de grandes quantités : quelques centaines de grammes pour un vélo électrique, au moins 10 kilogrammes (kg) pour une voiture électrique (plutôt près de 100 kg pour une Tesla) et jusqu’à 200 kg pour un bus [7]. En lien avec l'électromobilité, la demande en lithium est ainsi appelée à exploser. Déjà en 2020, l'électromobilité aurait consommé près de 80 % de la production mondiale de lithium. La demande globale en lithium pourrait être multipliée par un facteur 20 en dix ans et atteindre plus de 2 millions de tonnes en 2030, contre 80 000 tonnes en 2020 [7].
Comme bien d’autres ressources nécessaires à la "transition écologique" et au développement de "technologies vertes", le lithium est extrait aux quatre coins du monde et transporté partout autour du globe. Le "triangle de l'or blanc" est une région Andine à cheval sur trois pays d'Amérique du Sud (Argentine, Chili, Bolivie) qui concentrerait plus de la moitié des ressources mondiales en lithium [11]. Celui-ci peut y être extrait de manière relativement aisée, par évaporation dans de grands bassins de saumure.
Images : champ d'extraction de lithium situé au sud de la ville de San Pedro de Atacama au Chili. La saumure, riche en lithium et provenant de plus de 100 mètres sous le sol, est pompée dans d’immenses bassins. Le soleil évapore l'eau et la concentration de lithium augmente. La saumure initialement de couleur turquoise passe de bassin en bassin jusqu'à ce que la concentration de lithium atteigne environ 6 %, l'eau prenant alors une teinte jaune foncé. La saumure concentrée est transportée dans des camions pour être ensuite traitée dans des usines chimiques.
Transitions numérique et énergétique comportent un risque d'accentuation de l'extractivisme
Source des images : Tom Hegen (https://www.tomhegen.com/collections/the-lithium-series-i).
Depuis des milliers d'années, l'homme exploite les arbres pour construire des habitations, fabriquer des outils, cuire des aliments, se chauffer...
Aujourd'hui, on estime que chaque année, l'homme prélève environ 15 milliards d'arbres, un chiffre à mettre en perspective avec les quelque 3000 milliards d'arbres qui peupleraient la Terre [8]. Nous sommes toutefois depuis des siècles dans une logique d'altération de la population terrestre d'arbres : on estime que depuis la révolution néolithique, le nombre d'arbres sur Terre aurait été divisé par 2 [8].
Parfois, tous les arbres d'une forêt sont coupés en même temps (on parle alors de coupe rase), ce qui génère un paysage lunaire et désertique. Dans un état comme l'Oregon aux États-Unis, les coupes rases sont massives, avec une gestion industrielle de la forêt.
Les 4 images du haut montrent des photos de coupes rases en Oregon. L'image du bas est une vue Google Earth en Oregon (43°20'04'' N ; 123°48'58'' W) qui montre l'ampleur des coupes rases, avec un paysage forestier mité par des surfaces mises à nu.
La coupe rase doit être distinguée de la déforestation : des arbres peuvent être replantés ou repousser naturellement après la coupe, auquel cas la surface mise temporairement à nu reste de la forêt. Les coupes rases induisent néanmoins des perturbations majeures et durables des milieux, notamment sur le fonctionnement des sols [12, 13].
L'extractivisme concerne aussi les végétaux : exemple des arbres
Source des images : Clear Cut Oregon (http://www.clearcutoregon.com) pour les 4 images du haut ; Google Earth (https://earth.google.com/web/) pour l'image du bas.
Les poissons sont des animaux particulièrement concernés par l'extractivisme humain. On estime que plus de 1000 milliards de poissons sont pêchés chaque année [9].
La quantité de poissons pêchés a plus que quadruplé entre 1950 et 1985, passant de 20 millions de tonnes par an à plus de 80 millions de tonnes par an [9]. Depuis, la quantité de poissons pêchés annuellement est relativement stable, entre 80 et 100 millions de tonnes par an, tandis que la quantité de poissons issus de l'aquaculture augmente nettement [10].
Si la quantité de poissons extraits de leur milieu naturel tend à stagner, la surpêche concerne néanmoins une part croissante des stocks de poissons. La surpêche signifie que les populations sont pêchées plus vite qu’elles ne peuvent se reproduire et se maintenir. La conséquence de la surpêche est donc la diminution importante des populations de poissons. Ainsi, le pourcentage de stocks de poissons pêchés de manière non durable a atteint 35,4% en 2019, alors qu'il n'était que de 10 % en 1974 [10].
Images : le Margiris, l'un des plus gros chalutier du monde (en haut) ; 400 tonnes de chinchard du Chili pêchées par un senneur (en bas).
Source des images : Greenpeace pour l'image du haut, NOAA pour l'image du bas.
L'extractivisme concerne aussi les animaux : exemple des poissons
Références
[1] Worldometer, « World Oil Statistics », Worldometer. https://www.worldometers.info/oil/
[2] IEA, « The world’s coal consumption is set to reach a new high in 2022 as the energy crisis shakes markets - News », IEA, 2022. https://www.iea.org/news/the-world-s-coal-consumption-is-set-to-reach-a-new-high-in-2022-as-the-energy-crisis-shakes-markets
[3] J. Aizarani, « Global natural gas consumption 2021 », Statista, 2023. https://www.statista.com/statistics/282717/global-natural-gas-consumption/
[4] France Stratégie, « La consommation des métaux du numériques : un secteur loin d’être dématérialisée », 2020. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-dt-consommation-metaux-du-numerique-juin.pdf
[5] Éric Drezet, « Les matériaux dans les équipements terminaux », EcoInfo, 2014. https://ecoinfo.cnrs.fr/2014/04/11/les-materiaux-dans-les-equipements-terminaux/
[6] O. Vidal, B. Goffé, et N. Arndt, « Metals for a low-carbon society », Nat. Geosci., vol. 6, p. 894-896, 2013. https://www.nature.com/articles/ngeo1993
[7] Marion Esnault, « Batteries : la ruée vers le lithium a commencé », Reporterre, 2021. https://reporterre.net/Batteries-la-ruee-vers-le-lithium-a-commence-23992
[8] T. W. Crowther et al., « Mapping tree density at a global scale », Nature, vol. 525, no 7568, p. 201‑205, 2015. https://www.nature.com/articles/nature14967
[9] L214, « Dossier : les chiffres clés de la souffrance animale – Animaux abattus dans le monde », L214. https://www.l214.com/animaux/chiffres-cles/statistiques-nombre-animaux-abattus-monde-viande/
[10] FAO, « The State of World Fisheries and Aquaculture 2022 », 2022. https://www.fao.org/3/cc0461en/online/sofia/2022/world-fisheries-aquaculture.html
[11] Wikipedia, « Lithium Triangle », Wikipedia. https://en.wikipedia.org/wiki/Lithium_Triangle
[12] P. Kohout, M. Charvátová, M. Štursová, T. Mašínová, M. Tomšovský, et P. Baldrian, « Clearcutting alters decomposition processes and initiates complex restructuring of fungal communities in soil and tree roots », ISME J., vol. 12, no 3, 2018. https://www.nature.com/articles/s41396-017-0027-3
[13] E. J. Bowd, S. C. Banks, C. L. Strong, et D. B. Lindenmayer, « Long-term impacts of wildfire and logging on forest soils », Nat. Geosci., vol. 12, no 2, 2019. https://www.nature.com/articles/s41561-018-0294-2