L'émission de lumière nocturne comme indicateur de l'Anthropocène
La Terre vue de l'espace
L'émission de lumière nocturne est une manifestation et une composante spectaculaire de l'Anthropocène, visible depuis l'espace.
Pendant environ 3,7 milliards d'années, la vie a évolué avec des cycles jour-nuit. Les êtres vivants ont ainsi une horloge biologique qui contrôle leur rythme circadien [1].
Au cours des 100 dernières années, ce rythme naturel a été grandement perturbé par l'émission croissante de lumière artificielle nocturne par l'homme [1].
En dépit des discours prônant une régulation de l'émission de lumière nocturne, la tendance se poursuit voire s'accélère : une étude récente a montré que la luminosité du ciel nocturne avait augmenté de 10 % par an entre 2011 et 2022 [2].
Cette pollution lumineuse affecte significativement le comportement et la physiologie des êtres vivants [1], humains compris bien entendu [3]. Elle contribuerait notamment de façon importante à la disparition des insectes en influençant leurs déplacements, leur recherche de nourriture, leur reproduction et leur prédation [4].
L'émission de lumière nocturne peut aussi être vue comme un gaspillage d'énergie qui aggrave le changement climatique [5].
La pollution lumineuse est donc bien plus qu'un problème pour l'astronomie ou l'observation des étoiles [5]. En réduisant notre capacité à observer le ciel nocturne et le nombre d'étoiles que l'on peut voir, elle peut aussi affecter nos capacités réflexives et notre spiritualité [6].
Finalement, l'émission de lumière nocturne est inextricablement liée à l'Anthropocène : sa détection depuis l'espace révèle la place considérable que nous avons pris sur cette planète, elle modifie l'environnement à l'échelle globale, induit une altération significative de la vie et réduit notre capacité à nous émerveiller de notre monde.
Points clés
À partir de l'analyse d'images satellites, des scientifiques de la NASA produisent des images de la Terre de nuit, avec les lumières émises par l'activité humaine. Autant dire que nos activités se détectent de très loin ! De gauche à droite : Europe et Afrique ; Asie et Océanie ; Amérique. Source des images : NASA (https://earthobservatory.nasa.gov/features/NightLights).
Le globe sous toutes les coutures
Le mieux, quand on veut appréhender la globalité de quelque chose, est de prendre du recul. Quoi de mieux donc que des photographies de la Terre depuis l'espace pour commencer à concevoir ce qu'est l'Anthropocène ? L'émission de lumière nocturne par l'activité humaine est détectable depuis l'espace et donne tout de suite une bonne idée de la place qu’occupent les humains sur la surface planétaire.
Voici une image plane reconstituée de l'émission de lumière nocturne. Cette image donne déjà une idée de l'emprise au sol des humains. À l'exception des espaces inhospitaliers (pôles, déserts, hautes montagnes...) et de quelques milieux encore peu urbanisés (Amazonie, Afrique centrale...), les sources d'émissions lumineuses couvrent une bonne partie de la surface des terres émergées. Source de l'image : NASA (https://earthobservatory.nasa.gov/features/NightLights).
Carte plane de la Terre avec les émissions de lumière nocturne
Images de l'Europe de l'Ouest la nuit
Photos de l'Europe de l'Ouest prises depuis la station spatiale internationale (en haut) et depuis un satellite (en bas à gauche et à droite). Très anthropisée, l'Europe de l'Ouest est particulièrement émettrice de lumière nocturne. Source des images : NASA (https://earthobservatory.nasa.gov/features/NightLights).
Tour du monde de quelques lieux fortement émetteurs de lumière nocturne
Les zones urbanisées densément peuplées sont logiquement les plus émettrices de lumière nocturne. L'urbanisation étant en très forte croissance, l'émission de lumière nocturne suit la même tendance : entre 2011 et 2022, la luminosité du ciel nocturne aurait ainsi augmenté de 10 % par an [2].
Les images montrées ici donnent quelques exemples de zones très urbanisées et donc particulièrement émettrices de lumière nocturne, avec la vallée du Nil en Égypte, la région de New Delhi au nord de l'Inde, l'Italie du Nord, la côte Est des États-Unis, le Japon et la péninsule Coréenne, et le sud-est de la Chine (Hong-Kong) et Taïwan.
Source des images : Google Earth (https://earth.google.com/web/), à partir d'images de la NASA.
Références
[1] K.J. Gaston, M.E. Visser et F. Hölker, « The biological impacts of artificial light at night: the research challenge », Phil. Trans. R. Soc., vol. 370, no 1667, p. 20140133, 2015. https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2014.0133
[2] C.C.M. Kyba, Y.Ö. Altintas, C.E. Walker et M. Newhouse, « Citizen scientists report global rapid reductions in the visibility of stars from 2011 to 2022 », Science, vol. 379, no 6629, p. 265-268, 2023. https://www.science.org/doi/10.1126/science.abq7781
[3] K.M. Zielinska-Dabkowska, « Make lighting healthier », Nature, vol. 553, p. 274-276, 2018. https://www.nature.com/articles/d41586-018-00568-7
[4] A.C.S. Owens, P. Cochard, J. Durrants, B. Farnworth, E.K. Perkin et B. Seymoure, « Light pollution is a driver of insect declines », Biological Conservation, vol. 241, p. 108259, 2020. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2019.108259
[5] Martin Morgan-Taylor, « Regulating light pollution: More than just the night sky », Science, vol. 380, no 6650, p. 1118-1120, 2023. https://www.science.org/doi/10.1126/science.adh7723
[6] Shaoni Bhattacharya, « What are we doing to tackle light pollution? », BBC Sky at Night Magazine, 2023. https://www.skyatnightmagazine.com/space-science/what-doing-tackle-light-pollution