L'Anthropocène ou l'époque de big data
Informatique
La généralisation de l'informatique est une autre révolution récente qui contribue à accroître l'activité humaine ainsi que son impact sur la surface de cette planète.
Alors que les transports modernes ont accéléré et densifié les flux de marchandises et de personnes, l'informatique a développé de façon extraordinaire le volume et les flux de données.
Contrairement à ce qui est dit dans le langage courant, l'informatique n'a rien de "dématérialisé" mais repose sur des infrastructures massives et boulimiques en énergie.
Comme les transports modernes ou l'urbanisation, l'informatique implique donc l'extraction et la transformation de grandes quantités de ressources naturelles, que ce soit pour la fabrication du matériel (terminaux, câbles réseaux, serveurs...) ou pour son fonctionnement (transfert de données, refroidissement des serveurs...).
Le nombre d'équipements numériques s'accroit de façon spectaculaire : on comptait en 2019 plus de 30 milliards d'appareils numériques dans le monde [1], largement concentrés dans les pays dits développés [1, 2]. Par contraste, il y avait 1 milliard d'objets connectés en 2010.
La fabrication des équipements implique l'extraction de dizaines de métaux aux quatre coins du monde et une importante consommation énergétique, avec donc des impacts forts sur les milieux naturels [3].
L'usage des équipements a lui-aussi des impacts bien réels : on estime qu'il représente 55 % de la consommation énergétique du secteur, contre 45 % pour la production des équipements [2].
L'usage suit d'ailleurs une croissance exponentielle : le volume de données double tous les 2 ou 3 ans [4], tandis que le trafic de données augmente de 25 % par an [2].
La hausse du trafic est largement due à la vidéo, qui représentait en 2018 80 % des flux de données mondiaux et 80 % de l’augmentation de leur volume annuel [5].
En lien avec l'explosion du volume et des flux de données, la consommation énergétique du secteur numérique augmente de 9 % chaque année [2].
Puisque le secteur numérique consomme de plus en plus d'énergie, il émet des quantités croissantes de gaz à effet de serre. En 2018, le numérique représentait 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, contre 2,5 % en 2013 [2]. Les prévisions tablent sur au moins 5 % en 2025 [1].
Un aspect fondamental du numérique est le découplage total qui s'y opère entre causes (l'utilisation des fonctionnalités numériques) et conséquences (consommation d'énergie et dégradation environnementale). Bien plus que l'ère de la dématérialisation, le numérique est l'ère de la déconnexion entre nos comportements et leurs conséquences.
Points clés
L'informatique repose sur les matériaux et l'énergie
Alors que le partage d'informations a pendant longtemps été contraint dans l'espace et dans le temps, voilà que deux personnes situées en deux points opposés de la Terre peuvent entrer en contact immédiatement et à n'importe quel moment grâce à l'informatique.
L'informatique n'a cependant rien d'immatériel, mais repose sur des infrastructures consommatrices de grandes quantités de ressources pour leur fabrication et leur fonctionnement. Le secteur informatique est donc lui-aussi très dépendant de l'énergie abondante et bon marché obtenue par l'extraction et la transformation des ressources fossiles.
La croissance du nombre d'équipements est impressionnante. Alors que le nombre d'objets connectés était de 1 milliard en 2010, on estimait en 2019 qu'il y avait 34 milliards d’équipements numériques pour 4,1 milliards d’utilisateurs, soit 8 équipements par utilisateur en moyenne [1]. Ce taux d’équipement moyen cache cependant de très fortes disparités géographiques. En moyenne en 2018, un Américain possédait près de 10 périphériques numériques connectés là où un Indien n'en possédait qu'un [2].
Un équipement numérique comme un ordinateur comporte des dizaines de métaux différents, dont l'extraction aux quatre coins du monde induit de profonde atteintes à l'environnement [3]. La fabrication des équipements nécessite également une importante consommation d'énergie et l'émission de gaz à effet de serre.
Cependant, c'est l'usage des équipements qui contribuerait le plus à la consommation énergétique du secteur. En effet, chaque octet transféré ou stocké sollicite des terminaux et des dispositifs (centres de données, réseaux...) énergivores. L'usage serait ainsi responsable de 55 % de la consommation énergétique du secteur, contre 45 % pour la fabrication des équipements [2].
La croissance de l'usage est d'ailleurs gigantesque. Le volume de données double tous les 2 ou 3 ans [4], tandis que le trafic de données augmente de 25 % par an [2]. Cette hausse du trafic est principalement pilotée par les flux vidéo, qui représentaient 80 % des flux de données mondiaux en 2018 et 80 % de l’augmentation de leur volume annuel [5]. De la même façon que l'équipement numérique est concentré dans les pays riches, la consommation de données est très inégalitaire : en 2018, un Américain consommait 70 fois plus de données numériques qu'un Indien (140 Gigaoctets par mois contre 2 Gigaoctets) [2].
En lien avec l'explosion du volume et des flux de données, la consommation énergétique du secteur numérique augmente de 9 % chaque année [2] ! En conséquence, la contribution du numérique aux émissions de gaz à effet de serre augmente fortement. En 2013, le numérique représentait 2,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre [2]. En 2018, c’était 4 %, soit plus que le transport aérien largement pointé du doigt [1, 2]. En 2025, ce pourrait être 5 % [1].
Source des images : Pixabay.
L'informatique ou l'ère de la déconnexion entre causes et conséquences
Les centres de données (data center) constituent un maillon essentiel du système informatique. Il s’agit de lieux physiques qui regroupent l’ensemble des installations (serveurs notamment) au sein desquelles les données informatiques sont stockées et traitées. Ils sont hébergés au sein même des entreprises ou externalisés dans d’immenses entrepôts. Leur objectif est d’assurer la disponibilité permanente des données, tout en garantissant un haut niveau de sécurité. Pour répondre aux besoins, leur nombre ne cesse de croître.
On en recensait début 2023 environ 8 000 dans le monde, dont un tiers aux États-Unis [6, 7]. Ils doivent être constamment alimentés en électricité. Pour fonctionner bien sûr, mais également pour être refroidis puisque les installations d’un centre produisent énormément de chaleur.
En 2022, les centres de données auraient consommés entre 240 et 340 terawatt-heures (TWh) d'électricité, une consommation qui augmente de 20 à 40 % chaque année et qui représente aujroud'hui entre 1 et 1,5 % de la consommation électrique mondiale [8]. Cette estimation exclut l'énergie utilisée pour les systèmes de crypto-monnaie, qui était estimée à environ 110 TWh en 2022, soit 0,4 % de la consommation électrique mondiale.
Puisqu'ils sont consommateurs d'énergie, les centres de données contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES). En 2020, ils ont émis environ 330 millions de tonnes de CO2, soit 0,9 % des émissions de GES liées à l'énergie ou 0,6 % des émissions totales de GES [8].
Les centres de données, qui concentrent des infrastructures massives et une consommation importante d'énergie loin des regards, peuvent être reliés à un aspect fondamental du numérique : le découplage entre causes et conséquences. Des opérations qui nous sont devenues d’une banalité affligeante, comme envoyer un e-mail ou effectuer une requête Internet, impliquent des flux de données (et donc des consommations d'énergie) entre plusieurs centres qui peuvent être aux antipodes.
On estime qu’une donnée numérique comme un e-mail effectue en moyenne 15 000 km [9]. L'envoi d'un e-mail, une requête quelconque, ou le partage d'une vidéo d'adorables chatons via Internet induisent donc une consommation d’énergie pour le transfert des données ainsi que pour leur stockage dans un centre de données. Ou comment, par un simple clic sur un bouton dans mon salon propret, je génère en toute inconscience de la dégradation environnementale qui n’a rien de virtuel.
Images : centre de données de l'agence Reuters à Londres (image du haut) et intérieur d'un centre de données (image du bas).
Sources des images : Wikipédia (Arpingstone, Public domain, via Wikimedia Commons) pour l'image du haut, Pixabay pour l'image du bas.
Références
[1] GreenIT, « Empreinte environnementale du numérique mondial », 2019. https://www.greenit.fr/etude-empreinte-environnementale-du-numerique-mondial/
[2] The Shift Project, « Pour une sobriété numérique », 2018. [En ligne]. Disponible sur: https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/
[3] France Stratégie, « La consommation des métaux du numériques : un secteur loin d’être dématérialisée », 2020 [En ligne]. Disponible sur: https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-dt-consommation-metaux-du-numerique-juin.pdf
[4] Statista, « Volume of data/information created, captured, copied, and consumed worldwide from 2010 to 2020, with forecasts from 2021 to 2025 », Statista, 2022. https://www.statista.com/statistics/871513/worldwide-data-created/
[5] The Shift Project, « Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne – Un cas pratique pour la sobriété numérique – Résumé aux décideurs », juill. 2019. [En ligne]. Disponible sur: https://theshiftproject.org/article/climat-insoutenable-usage-video/
[6] Techjury, « 15 Crucial Data Center Statistics to Know in 2023 », Techjury, 2023. https://techjury.net/blog/data-center-statistics/
[7] Statista, « Number of data centers worldwide in 2022, by country », Statista. https://www.statista.com/statistics/1228433/data-centers-worldwide-by-country/
[8] IEA, « Data Centres and Data Transmission Networks », IEA, 2023. https://www.iea.org/energy-system/buildings/data-centres-and-data-transmission-networks
[9] ADEME, « La face cachée du numérique », ADEME, 2019. https://librairie.ademe.fr/cadic/2351/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf