L'Anthropocène ou l'époque de l'expansionnisme humain
Systèmes humains
Au niveau des systèmes humains, l'histoire de l'Anthropocène est l'histoire d'une évolution fulgurante.
Cette évolution fulgurante, qui prend place depuis quelques siècles mais tout particulièrement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est communément désignée comme la "grande accélération".
Elle se traduit par une hausse inédite de la population et de la production de biens matériels, ce que mesurent respectivement la démographie et le Produit Intérieur Brut (PIB).
En deux siècles le nombre d'humains a été multiplié par 8 [1], le PIB mondial par 90 et le PIB par habitant par plus de 10 [2].
En 2020, nous aurions atteint un seuil symbolique où la masse de ce que l'homme fabrique pèse plus lourd que toute la masse du vivant [3].
Le plastique est un exemple emblématique de la société de production-consommation. La quantité totale de plastique produite depuis 1950 atteint près de 10 milliards de tonnes et la production de plastique augmente chaque année [4].
La "grande accélération" a des effets très marqués au niveau humain : jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, les individus n'ont vécu aussi longtemps, mangé autant, été autant éduqués et possédé autant de biens matériels qu'aujourd'hui, en dépit d'inégalités irrationnelles [5, 6, 7, 8, 9].
La croissance inouïe de la production va de pair avec une élévation extrêmement forte de la consommation d'énergie, notamment issue de sources fossiles. Entre 1800 et 2020, la consommation énergétique a été multipliée par 30 [10].
Entre 1950 et 2020, la consommation de charbon a été multipliée par 3, celle de pétrole par 9 et celle de gaz par 18 [10] !
La consommation d'énergie fossile a pour corollaire l'émission de gaz à effet de serre et contribue donc à changer la composition de l'atmosphère. Chaque année, l'activité humaine émet près de 40 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, près de 10 milliards de tonnes de méthane et quelques milliards de tonnes de protoxyde d'azote [11].
Points clés
Pendant très longtemps, la population humaine a fluctué entre quelques millions et quelques centaines de millions d'habitants. Entre 1800 et 2020, elle a été multipliée par 8 pour finalement dépasser 8 milliards d'habitants en 2022 [1] ! Cet accroissement brutal est inédit dans toute l'histoire de l'humanité. Sur l'échelle des temps longs (graphique de gauche), l'augmentation semble instantanée ! Dans une perspective plus courte (graphique de droite), on note une augmentation sensible de la population à partir de 1700 environ, une augmentation plus forte à partir de 1850 environ et une accélération foudroyante à la sortie de la Seconde Guerre mondiale (la "grande accélération"). Source des données : Our World In Data [1].
Le temps de l'explosion démographique
Comme la population, le PIB a connu une évolution fulgurante au cours des dernières décennies. Entre 1800 et 2020, il a été multiplié par 90 [2] ! Sur l'échelle des temps longs (graphique de gauche), l'augmentation parait instantanée et écrase toutes les variations précédentes ! Dans une perspective plus courte (graphique de droite), on note une augmentation sensible du PIB à partir de 1850 environ et une accélération foudroyante à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Source des données : Our World In Data [2].
Une nouvelle religion universelle : la croissance du PIB
Le PIB augmentant beaucoup plus rapidement que la population, le PIB par habitant connaît lui-aussi une ascension fulgurante. En deux siècles, il a été multiplié par plus de 10 [2]. Une fois encore, l'évolution est particulièrement marquée à partir de 1945. Source des données : Our World In Data [2].
En 2020, nous aurions atteint un point symbolique où la masse de ce que les humains produisent dépasse la biomasse. Autrement dit, ce que les humains produisent pèse plus que l'ensemble de la vie animale et végétale de cette planète !
Source de la figure : Elhacham, E. et al., Nature, 2020 [3].
Une civilisation de producteurs-consommateurs
La croissance inouïe de l'activité humaine est liée à l'invention et l'animation de machines de plus en plus nombreuses et efficaces, qui dépendent elles-mêmes d'une énergie abondante et bon marché (c'est à dire de l'énergie fossile). La mécanisation de l'agriculture et de nombreux secteurs industriels a augmenté de manière considérable un paramètre clé : la productivité.
La productivité est une bonne façon de mesurer l'évolution du pouvoir de transformation humain, car elle donne une idée de la quantité de biens et services produits par heure travaillée. Dans des pays comme la France, les États-Unis ou le Royaume-Uni, la productivité a été multipliée par un facteur 4 à 7 entre 1950 et 2020 [2]. En 2020, en 1 h de travail, un Français produit 7 fois plus de biens et services que son ancêtre de 1950 !
Sachant que le temps de travail n'a de son côté que légèrement diminué, nous produisons de fait beaucoup plus de biens et services qu'autrefois. Qui dit hausse de la production dit hausse de la consommation : en moyenne, jamais un humain n’a mangé autant et n’a possédé autant de biens matériels qu’aujourd’hui, même si des inégalités colossales subsistent entre les individus.
La production de plastique est emblématique de la hausse constante de la production de biens matériels qui sous-tend la croissance économique.
Avant 1950, on ne produisait pas de plastique. Dés le début des années 1970, la production annuelle atteint 50 millions de tonnes par an, puis dépasse 100 millions de tonnes par an à la fin des années 1980 (graphique du haut ) [4]. En 2019, la production de plastique a excédé 450 millions de tonnes par an !
Si l'on regarde la production cumulée de plastique depuis 1950, on voit que celle-ci a dépassé 9,5 milliards de tonnes en 2019 (graphique du bas) [4]. Ces plastiques finissent pour une part importante dans la nature, où ils se fragmentent en petits morceaux appelés micro-plastiques. Ces-derniers sont ensuite facilement transportés par les airs ou par les eaux et se retrouvent donc n'importe où sur cette planète : aux pôles, aux sommets des plus hautes montagnes, mais aussi et surtout dans l'océan.
Les déchets de plastique dans l'océan sont tellement importants qu'ils se sont accumulés au point de former une sorte de continent, le vortex plastique, situé dans le Pacifique et dont la surface serait 3 fois celle de la France métropolitaine.
Source des données : Our World In Data [4].
Source des données : Our World In Data [2].
Des individus qui vivent plus longtemps, sont plus riches et (trop) bien nourris
La période récente se singularise par une croissance extraordinaire du nombre d'humains ou de la quantité de biens et services produits et consommés par chacun.
Cependant, les changements ont touché bien d'autres aspects encore. La mécanisation des processus et l'augmentation des rendements agricoles, rendues possibles par l'exploitation des ressources fossiles, ont par exemple considérablement abaissé la main d'œuvre nécessaire à la production alimentaire ou de divers biens matériels. Une part de plus en plus importante de la population a pu se consacrer à d'autres tâches, ce qui a contribué à des progrès rapides dans les domaines de la santé ou de l'éducation.
Ainsi, en plus d'une très forte réduction de la part de la population vivant des dans conditions de pauvreté extrême [8], des changements spectaculaires sont visibles par exemple dans l'espérance de vie [5], la mortalité infantile [6] ou le niveau d'éducation des populations [9].
Depuis 1850, l’espérance de vie a plus que doublé (graphique du haut). Avant 1850, les humains vivaient en moyenne moins de 30 ans ; deux siècles plus tard, les humains vivent pour la plupart au-delà de 70 ans [5]. Si l’espérance de vie a augmenté, c’est en partie parce que la mortalité infantile a considérablement diminué (graphique du milieu). Avant 1850, plus de 40 % des enfants mouraient avant 5 ans. De nos jours, moins de 5 % des enfants meurent avant 5 ans [6].
La croissance a été si forte sur certains aspects que, même au niveau humain, elle se traduit par des effets plus négatifs. Par exemple, l'apport calorique est devenu tellement important que de plus en plus de personnes sont concernées par le surpoids et les divers troubles associés. Au niveau mondial, la part de la population en surpoids a quasiment doublé en 40 ans (1976-2016) et tutoie désormais les 40 % (graphique du bas) [7]. Aux États-Unis, près de 70 % des adultes sont en surpoids !
Notons que ces tendances globales masquent d'incroyables inégalités. Alors que certains mangent plus que de raison, la famine continue de tuer à certains endroits du monde. De même que l'espérance de vie, l'éducation, la mortalité infantile ou la pauvreté n'ont pas évolué partout de la même façon. La mortalité infantile avoisine voire dépasse les 10 % dans certains pays africains, tandis qu'elle est inférieure à 0,5 % dans les pays d'Europe de l'Ouest [6].
Source des données : Our World In Data [5, 6, 7, 8, 9].
Le mythe de la transition énergétique face à la réalité de l'accumulation énergétique
L'activité, tout le monde le sait, ça consomme de l'énergie. L'activité humaine ne déroge pas à cette règle élémentaire et la croissance inouïe de l'activité humaine lors des dernières décennies est allée de paire avec une hausse brutale de la consommation d'énergie. Entre 1800 et 2020, la consommation globale d'énergie a été multipliée par 30 : elle a atteint près de 180 000 terawatt-heures (TWh) en 2022, contre un peu moins de 90 000 TWh en 1980 et 6000 TWh en 1800 [10].
Ce sont les combustibles fossiles qui ont été et sont encore le moteur de l'activité humaine et de sa croissance. Leur avènement à partir de 1850 environ, avec tout d'abord le charbon puis (fin du 19e siècle) le pétrole et le gaz, est le facteur déterminant de la réalisation de la croissance économique. Entre 1950 et 2020, la consommation de charbon a été multipliée par 3 (de 13 000 à 42 000 TWh), celle de pétrole par 9 (de 5 000 à 49 000 TWh) et celle de gaz par 18 (de 2 000 à 39 000 TWh) [10] ! Aujourd'hui, les combustibles fossiles représentent encore 80 % environ du mix énergétique [10].
La transition énergétique est une fable : il n'y a pas de transition vers d'autres sources d'énergie, mais une addition de sources d'énergie de plus en plus diverses afin de combler les besoins d'une activité humaine en croissance et à l'appétit insatiable.
Solaire et éolien sont à peine visibles sur le graphique tant leur part dans le mix énergétique est faible.
Source des données : Our World In Data [10].
Les évolutions spectaculaires relatées ci-dessus reposent largement sur l'utilisation massive d'une source extraordinaire d'énergie : les combustibles fossiles. L'utilisation de l'énergie des ressources fossiles a cependant un très gros inconvénient : elle implique leur combustion, qui génère des déchets gazeux, dont des gaz à effet de serre et notamment du CO2.
Les ressources fossiles ayant été formées il y a de cela des millions d'années, au cours d'un processus prenant lui-même des millions d'années, elles sont non renouvelables à l'échelle de la civilisation humaine. Leur combustion entraine leur perte définitive et modifie profondément le cycle du carbone, puisqu'elle revient à relarguer dans l'atmosphère du carbone qui était prisonnier des entrailles de la Terre depuis des millions d'années.
Pétrole, gaz et charbon étant le socle de notre civilisation, les émissions de CO2 liées à la combustion des ressources fossiles sont massives et en hausse constante (graphique du haut) ! Elles atteignent environ 35 milliards de tonnes chaque année au début des années 2020 [11].
Les seules légères baisses visibles sur le graphique sont liées à des ralentissements de l'activité économique : choc pétrolier de 1979, crise de 2008 et covid-19 en 2020 par exemple.
Il faut ajouter aux émissions de CO2 issues des combustibles fossiles les émissions de CO2 liées aux changements de surface des sols. Par exemple quand une forêt est transformée en champs agricole, le CO2 stocké dans les arbres et le sol forestier est relâché dans l'atmosphère, ce qui contribue aux émissions de CO2. On estime que ces changements d'usage des sols contribuent à émettre environ 5 milliards de tonnes de CO2 chaque année [11].
Au total, les émissions liées à l'activité humaine atteignent ainsi environ 40 milliards de tonnes (35 milliards par la combustion des fossiles + 5 milliards par les changements de surface des sols) chaque année au début des années 2020 [11]. On estime que depuis 1850, les hommes ont relargué environ 2500 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère [12].
Aux émissions de CO2 se cumulent les émissions d'autres gaz à effet de serre, comme le méthane (CH4 ; graphique du milieu) ou le protoxyde d'azote (N2O ; graphique du bas), deux gaz au potentiel de réchauffement respectivement 30 et 300 fois supérieur à celui du CO2. Comme pour le CO2, l'activité humaine émet de plus en plus de méthane et de protoxyde d'azote chaque année.
Source des données : Our World In Data [11].
Croissance de l'activité humaine rime avec croissance des émissions de gaz à effet de serre
Références
[1] H. Ritchie et al., « Population Growth », Our World in Data, 2023. https://ourworldindata.org/population-growth
[2] M. Roser, P. Arriagada, J. Hasell, et E. Ortiz-Ospina, « Economic Growth », Our World in Data, 2023. https://ourworldindata.org/economic-growth
[3] E. Elhacham, L. Ben-Uri, J. Grozovski, Y. M. Bar-On, et R. Milo, « Global human-made mass exceeds all living biomass », Nature, p. 1‑3, 2020. https://www.nature.com/articles/s41586-020-3010-5
[4] H. Ritchie et M. Roser, « Plastic Pollution », Our World in Data, 2018. https://ourworldindata.org/plastic-pollution
[5] M. Roser, E. Ortiz-Ospina, et H. Ritchie, « Life Expectancy », Our World in Data, 2019. https://ourworldindata.org/life-expectancy
[6] M. Roser, H. Ritchie et B. Dadonaite, « Child and infant Mortality », Our World in Data, 2019. https://ourworldindata.org/child-mortality
[7] H. Ritchie et M. Roser, « Obesity », Our World in Data, 2017. https://ourworldindata.org/obesity
[8] J. Hasell, M. Roser, E. Ortiz-Ospina, et P. Arriagada, « Poverty », Our World in Data, 2023. https://ourworldindata.org/poverty
[9] M. Roser et E. Ortiz-Ospina, « Global Education », Our World in Data, 2016. https://ourworldindata.org/global-education
[10] H. Ritchie, M. Roser, et P. Rosado, « Energy », Our World in Data, 2022. https://ourworldindata.org/energy
[11] H. Ritchie, M. Roser, et P. Rosado, « CO₂ and Greenhouse Gas Emissions », Our World in Data, 2020. https://ourworldindata.org/co2-and-greenhouse-gas-emissions
[12] S. Evans, « Analysis: Which countries are historically responsible for climate change? », Carbon Brief, 2021. https://www.carbonbrief.org/analysis-which-countries-are-historically-responsible-for-climate-change/